Suspendu par la conférence des présidents des regroupements politiques membres du Front Commun pour le Congo, Modeste Bahati déclare avoir pris acte de la décision du FCC. Elle lui permet désormais d’oeuvrer en homme libre à la tête de son regroupement politique, AFDC-ALLIÉS.
Par son entêtement à maintenir concurremment sa candidature *à celle d’Alexis Thambwe à la présidence du sénat, Modeste Bahati aurait – il défié l’autorité morale du FCC , Joseph Kabila ?
En tout cas, la réponse semble affirmative, d’après la chronique de José-Adolphe Voto – professeur à l’Institut Facultaire des sciences de l’information et de la communication – parvenue à politiquerdc.net.
Ci-dessous l’intégralité de la dite chronique.
CEUX QUI DEFIENT KABILA
(Une chronique du Professeur José-Adolphe Voto )
Ceux qui ont défié Joseph Kabila politiquement ne sont, ni politiquement ni physiquement morts.
Bien au contraire, ils se sont refaits une santé politique. À la différence de ceux qui ont manqué le courage d’affirmer leur indépendance d’esprit vis-à-vis de Kabila dont la plupart se sont éteints politiquement ou physiquement, ces hommes ont repris politiquement le poil de la bête.
Le défi politique
Joseph Kabila, à l’instar de ses prédécesseurs, aura sensiblement et négativement marqué l’histoire de la RDC, pays où la politique se définit par rapport à l’allégeance ou pas de chaque acteur au détenteur du pouvoir. C’est sur cette base que l’on est collaborateur ou opposant.
En République Démocratique du Congo, la vie politique n’est pas définie en référence à une idéologie, mais par le rapport entretenu avec le chef. C’est cela le paradigme de la politique congolaise.
Ainsi, toute tentative de systématisation de la scène politique congolaise en idéologie de gauche ou de droite, en républicain ou en démocrate, est vouée à l’échec.Car en effet, ce clivage est inexistant et les acteurs politiques traversent allègrement – du jour au lendemain et au gré vent – les lignes de démarcation. L’appat du gain ou l’accès à un poste supplante toutes les considérations idéologiques ou morales. Tout ce qui compte est d’accéder à la table où se partage le gâteau.
C’est ainsi que l’on ne s’étonnera pas de retrouver – par exemple Nzanga Mobutu ou Félix Tshisekedi nouer alliance avec le camp Kabila – qu’ils ont pourtant combattu, de père en fils.
Ceux qui ont défié le chef
À part les membres de l’opposition dont le rôle est connu pour leur combat contre le pouvoir en place, il convient de relever l’insubordination de quelques personnalités ayant choisi – à un moment de leur carrière politique – de défier Joseph Kabila. Au nombre de celles-ci, on peut citer Kamerrhe, Moïse Katumbi, les membres du G7, notamment Pierre Lumbi et José Endundo, mais aussi certains acteurs politiques qui jouent à la cinquième colonne au sein de la majorité, comme Henri Thomas Lokondo, Kinkiey Mulumba, Modeste Bahati, etc.
Tous ces acteurs politiques qui ont accompagné Kabila ont eu le courage – dans leur trajectoire politique – de prendre leur distance par rapport au chef.
Ils ont politiquement et physiquement survécu à cette rupture.Ils se sont octroyé une santé politique et ont garanti leur avenir politique avec possibilité de survivre à l’ère Kabila. On se souviendra de la lettre du G7 adressée à Joseph Kabila lui suggérant de ne pas briguer le troisième mandat, lettre qui rappelle une autre – celle des treize parlementaires à Mobutu – les retombées ultérieures. C’est aussi le cas des propos du député Bolengetenge du MSR à Kingakati, face à Kabila, lui priant de s’abstenir à briguer un troisième mandat.
Contrairement à ces audacieux, beaucoup d’autres ont manqué le courage d’exprimer leur désaccord à Joseph Kabila. Ils ont choisi l’aplaventrisme – par peur ou boulimie du pouvoir – face à Kabila, souvent réputé, à tort ou à raison, pour sa cruauté. monstrueuse. Ils ont ainsi compromis leurs carrières. Certains sont morts physiquement, d’autres politiquement.
Moïse Katumbi
L’ancien gouverneur du Katanga a été l’un des plus proches collaborateurs de Joseph Kabila. Ils ont eu à partager des secrets politiques et des secrets d’affaires. Mais à un moment, pour des raisons qu’ils sont les seuls à savoir, MK a rompu le cordon ombilical avec son mentor. Il est allé plus loin jusqu’à se déclarer – avant l’heure – candidat, en remplacement Kabila. Qui oubliera sa célèbre formule ‘’troisième penalty.’’ L’histoire lui donnera raison et Kabila ne marquera pas individuellement un troisième penalty. Ce faisant, Moïse Katumbi a été empêché de concourir à la magistrature suprême , mais il s’est bien positionné et compte aujourd’hui sur l’échiquier politique congolais. Il est vrai, à un moment, il a eu des ennuis de santé, mais il se physiquement et politiquement à merveille. Il est encore plus vivant qu’avant.
Pierre Lumbi
Parmi ceux qui étaient avec Kabila et qui se sont rebellés, il faut citer les membres du G7, notamment Pierre Lumbi. C’était encore un proche des proches. Pierre Lumbi a été conseiller spécial de Kabila. Il n’y a pas plus proche que cela.
Lui aussi, à un moment – comme Moïse Katumbi – a choisi la voie de la dissidence. Personne ne pouvait croire que Pierre Lumbi quitterait Kabila.
À moins que ce soit une supercherie, mais jusqu’à ce jour, aucun signe ne milite pour cette hypothèse. C’est comme une femme qui divorce avec son mari. C’est le passage de l’amour à la haine. Malgré tout, quelques années après, Pierre Lumbi est toujours vivant et en très bonne santé politique. Son parti est parmi ceux qui ont fait élire assez de députés et il compte dans l’échiquier politique congolais.
José Endundo
Un autre dissident ayant rebondi après le divorce avec Kabila, c’est José Endundo.
Le Président du PDC a été plusieurs fois Ministre de Kabila. Mais lui aussi a levé l’option de quitter Kabila avec les G7.
Cette décision lui a permis de se refaire une santé politique. Originaire de l’Equateur, José Endundo n’a pas été élu en 2011 à cause de son appartenance au camp Kabila. Il a appris la leçon et après son éloignement à Kabila, il a été gratifié d’un triple brassard en 2018: Il a été élu à la fois député provincial, député national et sénateur. Il peut encore espérer une longue carrière politique.
Henri Thomas Lokondo
L’éternel élu de Mbandaka est connu pour sa grande gueule face au pouvoir auquel il appartient. Faisant partie de la Majorité Présidentielle, Henry Thomas Lokondo a souvent nagé à contre-courant au sein de cette majorité.
La dernière parade, c’est lorsqu’il se présenta comme candidat indépendant à la présidence du Sénat, alors que Joseph Kabila avait déjà désigné Jeanine Mabunda pour le compte du FCC. HTM ne joue ni à l’hypocrisie au sein de la Majorité, ni à un scénario pour distraire l’opinion. Il a choisi son combat : celui de dire non quand il le faut, même si c’est le chef qui a parlé. Cette prise de position lui vaut l’estime aussi bien des Congolais que de la majorité au pouvoir qui n’a pas le courage de le défenestrer. Thomas Lokondo a certainement une longue carrière politique.
Kinkiey Mulumba
Opportuniste ou réaliste ? En tout cas KKM a eu le courage politique de prendre position au moment où le navire Kabila commençait à prendre l’eau, à la veille des élections présidentielles de 2018.
La Majorité Présidentielle avait pris l’option d’une candidature unique après le désistement de Kabila de la course. Le chef va désigner Emmanuel Ramazani Shadari pour des raisons qui lui sont propres. Et pourtant tout le monde convenait que ce fût un mauvais choix et Shadari détenait un maigre espoir de gagner.
Mais étant donné la peur et l’hypocrisie qui caractérisent cette majorité, tous ceux qui – comme Matata Mponyo ou Modeste Bahati – avaient des ambitions et valaient mieux que Shadari, ont préféré garder la bouche cousue. Kinkiey Mulumba qui pourtant, s’est montré à un moment plus plus kabiliste que les kabilistes avec son ‘’Kabila désir’’ et ‘’Kabila totondi yo nano te’’, va trouver un prétexte : si le chef n’est pas candidat, il n’y a pas de raison que je ne sois pas candidat. Kinkiey Mulumba va annoncer sa candidature aux élections présidentielles, même si personne ne pouvait lui donner même 1 pourcent des voix. Son parti n’étant implanté qu’à Kinshasa et dans son Masimbanimba natal.
Mais la politique, c’est aussi le calcul. L’élection présidentielle étant à un seul tour, Kinkiey qui a le flair journalistique a pressenti que le pouvoir va basculer. Il a donc proposé une alliance avec Fatshi.
La suite, on la connait et Kinkiey peut espérer aujourd’hui rentrer proprement dans le nouveau gouvernement pendant que ceux qui sont restés fidèles à Kabila et contestés pour leur passé se demandent s’ils seront sur la liste de Félix Tshisekedi.
Modeste Bahati
Rusé comme Kinkiey Mulumba, Modeste Bahati n’est pas opportuniste. C’est l’un des hommes politiques congolais les plus réalistes et les plus ambitieux. Quand il s’agit de ses intérêts, Bahati n’a rien de modeste. Venant de la société civile, il a juré de ne jamais être dans l’opposition. Et c’est en restant au sein de la majorité qu’il mène son combat pour le pouvoir.
A la fin du mandat de Kabila, il est tenté de faire route avec les G7, mais il se ravise à la dernière minute pour ne pas déroger à ses principes. Lorsque Kabila se retire de la course, il exprime ses ambitions pour la présidentielle. Mais il est bloqué par les consignes de la majorité. Il a un poids politique qui fait parfois peur au PPRD.
Lorsque Shadari est défait, il a tôt fait d’exprimer ses ambitions pour la présidence de l’Assemblée nationale. Le PPRD est au courant et lui coupe l’herbe sous les pieds. Il ne sera pas sur la liste des fidèles du pouvoir récompensés par la CENI.
Maissa coalition AFDC et alliés rafle beaucoup de sièges à tous les niveaux. Encore une fois, l’AFDC a subi un traitement injuste au sein du FCC dans la répartition des postes, tant aux élections des gouverneurs, des gouvernements provinciaux que des bureaux des Assemblées provinciales. Bahati est mécontent. Mais comme un ressort, plus on le presse, plus haut il rebondit. Il sort sa dernière carte : il est candidat à la présidence du Sénat, malgré que le chef a présenté Alexis Tambwe Mwamba. Une candidature à prendre au sérieux.
Un vote incertain
Contrairement à Bahati, Tambwe Mwamba traine de nombreuses casseroles puantes. D’abord, il n’est pas du Pprd et on lui reproche d’être conflictuel et trop suffisant. Il a plusieurs dossiers sur le plan international. Il est sous le coup d’un mandat ciblé des Etats Unis et de l’Union européenne.
Il est poursuivi par la justice belge pour l’attentat contre l’avion de Congo Airlines abattu par le RCD pendant la rébellion. Il a un dossier avec l’ancien garde du corps américain de Moïse Katumbi qu’il avait accusé injustement de mercenaire.
Face à tous ces dossiers, Bahati qui a la sympathie de ceux qui ont toujours eu des ambitions au sein du FCC et qui se taisent par peur, risque de surprendre.
Amoins que sa candidature soit écartée d’avance comme ce fut le cas avec Thomas Lokondo. Dans cette hypothèse, Bahati n’aura rien perdu. Il peut néanmoins obtenir réparation des injustices subies en compensation du retrait de sa candidature au niveau du gouvernement et des entreprises publiques. Sinon, il sera obligé de quitter le FCC, avec le risque pour le FCC qu’il soit récupéré par Félix Tshisekedi pour tenter de former une nouvelle coalition avec Lamuka et les indépendants.
Ceux qui ont peur du chef
À l’opposé des premiers, beaucoup sont ces cadres du FCC qui ont peur de Kabila et qui sont victimes du système. Ce sont des cadres de « grande valeur » avec des grandes ambitions, mais qui sont dépourvus du courage d’affronter Kabila, auteur de leur pris en otage. Ils se cachent derrière une fausse fidélité alors qu’ils déplorent les mauvais choix du chef en privé. Manquant du courage politique, ils finiront par couler. Ils donnent l’impression d’avoir scellé leur sort à celui de Kabila, alors que c’est faux. Ce sont eux qui disaient : c’est Kabila ou rien avant que ce dernier ne les surprenne en se retirant de la course.
La plupart d’entr’eux sont en déphasage avec la population si bien que leur retour aux affaires est d’avance contesté. Ils sont en train de s’éteindre politiquement à petit feu.
La proximité du chef ne dispense – ni du décès politique, ni de la disparition physique. Katumba Mwanke et Samba Kaputo sont partis, mais Pierre Lumbi est très vivant. Que l’on soit allié naturel ou de circonstance, il n’y a aucune raison de ne pas s’exprimer si les ambitions politiques et l’intérêt national l’exigent.
Chronique du professeur José-Adolphe Voto/rédaction